Claude Fayet c'était ma grand-mère, par Hélène Virlogeux

Publié le par R.D.

Claude Fayet, finalement, je l’ai assez peu connue, et assez tardivement. Celle que je connaissais, depuis la première heure de ma vie, était Jeanne Batbedat, née Laborde, que nous appelions « Mam ».

C’est son plus jeune fils, Vincent, qui lui avait donné ce surnom. Petit dernier de la fratrie, il voulait s’assurer une certaine exclusivité. Il avait donc décidé d’appeler sa mère « Mam », et non « Maman », et de plus, audace extrême, il s’était mis à la tutoyer, à la différence de son frère et de sa sœur. A ma naissance, en 1946, il a décrété que je pourrais moi aussi dire « Mam », mais il s’est réservé le tutoiement.

A cette époque, mes parents étaient étudiants à Bordeaux ; j’ai passé mes trois premières années à Poyanne, chez Mam. C’était une maison de femmes : Mam, sa mère, Marie Laborde, qu’on appelait « Babo » (pour « Maman Laborde », que ma mère, enfant, n’arrivait pas à dire), et puis Marie Arribehaute, la cuisinière, que je considérais comme une autre grand’mère et que j’ai très tôt appelée « Bali », avant de pouvoir prononcer « Marie ». Une maison de femmes, c’est une ambiance particulière, et si vous voulez mon avis bien agréable.

Le pivot de cette existence, c’était Mam. C’était elle la maîtresse de la maison, . C’était elle que venaient voir, tous les jours ou presque, parents et amis, toujours retenus pour le thé, ou pour un repas. C’était elle qui, tous les matins, entrait en conférence avec Bali pour décider des menus du jour : inventorier les restes et les besoins, compter les convives pour chaque repas, établir les menus, discuter les recettes ; c’était un vrai gourmet, et elle adorait les réunions de famille ou d’amis autour d’une table jolie et succulente.

Ses journées, me semblait-il, se déroulaient harmonieusement, dans les occupations de la maison, dans les relations familiales… et puis, le soir, au coin du feu l’hiver, elle me lisait des histoires ; histoires d’enfants du « Magasin d’éducation et de récréation » de M. Hetzel ; histoires de fleurs, avec de merveilleuses images, « Les fleurs animées ». Elle répondait inlassablement à mes incessantes questions ; « quelle tracassière ! » me disait-elle parfois – mais elle répondait. Elle me parlait de la famille, me racontant des histoires sur les uns ou les autres. Elle me chantait, et m’apprenait à chanter, de jolies chansons, à commencer par celle qu’elle avait inventée pour moi – et lorsqu’elle quittait Poyanne pour quelques jours, elle demandait que quelqu’un me la chante en son absence. Et le plaisir suprême, c’était qu’elle se mette au piano. Alors nous chantions ensemble, avec son accompagnement, des chansons de Botrel, ou bien je dansais sur des airs de valse ou de fandango. Elle adorait la musique et ce n’est que très tard, quand ses mains se sont déformées, qu’elle a cessé de jouer du piano.

Mes parents ont fini leurs études, mon père a été nommé dans l’Orne, et j’ai quitté Poyanne. Le retour, aux vacances, c’était le bonheur. Et puis en 1951, ma mère étant malade, nous sommes revenues quelques mois à Poyanne, ma sœur et moi. J’avais alors un peu moins de six ans. J’ai retrouvé les histoires et la musique, et Bali et les visites, et j’ai été inscrite à l’école de Poyanne. Pendant l’hiver, lorsque je rentrais de l’école, Mam m’attendait pour que nous prenions ensemble une tasse de thé – le mien avait à peine la couleur du miel d’acacia - et nous faisions griller à la flamme au bout d’une très longue fourchette de grandes tartines, sur lesquelles les saliades fondaient en dégageant un parfum délicieux. Les jours de congé, souvent nous nous promenions. Elle mettait alors sa grande cape de drap – la cape landaise classique – et nous faisions des kilomètres à pied. Elle connaissait tout le monde, et le trajet était souvent interrompu par des salutations et échanges de nouvelles. Elle connaissait toutes les fleurs aussi, et j’ai connu par elle la saponaire et la primevère, l’orchis et l’asphodèle, la germandrée petit-chêne et le géranium herbe-à-robert. Elle n’aimait pas que je cueille les fleurs des bords de route ; elle craignait que je n’en laisse tomber et mourir au bord du chemin, et même que la chaleur de ma main pendant le temps de la promenade ne les fasse souffrir.

Elle adorait les jardins, et c’était un plaisir de la voir au milieu des fleurs. De temps en temps, je lui demandais de venir se promener avec moi toute seule au jardin, « mais vous ne désherberez pas, vous me promettez ? ». Elle promettait… et au bout de quelques minutes, c’était plus fort qu’elle, une mauvaise herbe l’appelait irrésistiblement… puis la suivante… et je rentrais seule et désappointée à la maison.

Il paraît qu’elle écrivait… Bien sûr je la voyais, toutes les après-midi, s’installer au bureau – ce grand bureau à deux places de mon arrière-grand-père, le notaire de Poyanne. Sa mère, en face d’elle, en faisait autant ; et toutes deux écrivaient, pendant une heure ou deux. Des comptes, des affaires – mais surtout, des lettres, des quantités de lettres – Mam a dû en écrire des milliers. Pensez donc : sa fille – ma mère – et elle s’écrivaient deux fois par semaine, en ce temps béni où le facteur passait deux fois par jour, et où il y avait deux levées à la poste ; elle écrivait à chacun de ses fils au moins une fois par semaine ; elle avait une correspondance suivie avec une bonne vingtaine d’amis. Ce sont ces lettres innombrables qui reliaient les deux parties de son existence : la partie landaise, familiale et terrienne, et la partie parisienne. Elle retournait à Paris plusieurs fois par an, pour voir ses éditeurs, et plus tard ses fils aussi ; et grâce à cette correspondance elle retrouvait immédiatement sa place dans le cercle d’amis fidèles qui avaient aimé mon grand-père et qui l’aimaient pour elle-même.

Mais ses romans, je n’en savais pas grand’chose. Elle écrivait des livres… mais enfant, je ne les lisais pas. Et je ne savais pas que le soir, très tard, parfois toute la nuit, elle écrivait quand tout le monde dormait. Je crois qu’elle ne s’est mise à écrire dans la journée qu’après la mort de sa mère. Alors la vue des cahiers d’écolier couverts (sur la page de gauche) de sa grande écriture au stylo-bille m’est devenue familière. Mais à cette époque elle avait déjà écrit, sans qu’on s’en rende trop compte, plus d’une quinzaine de romans. Elle n’en parlait pratiquement jamais. En était-elle fière ? Oui, parce que ses romans avaient assuré un appoint financier indispensable ; oui, parce qu’elle estimait être un bon artisan ; mais elle ne plaçait pas son œuvre très haut… Je crois qu’elle s’est limitée elle-même. Son mari, leurs amis, plaçaient beaucoup d’espoir dans son avenir littéraire. Elle a été nominée pour le prix Fémina… elle rêvait d’écrire un « vrai » roman, mais elle s’est laissée ligoter par les contraintes familiales et les besoins matériels.

Beaucoup plus tard, elle est venue chez moi, et y a fini sa vie. Mon mari, qui aurait pu trouver la charge lourde, avait presque autant d’affection pour elle que moi-même : toujours souriante, toujours apparemment heureuse, elle faisait encore et toujours des projets d’avenir… réaménager son appartement parisien, faire quelques travaux à Poyanne… Elle ne faisait plus la cuisine, mais lorsque sa nièce Fanny venait la voir, ces deux passionnées passaient une partie de l’après-midi à échanger leurs recettes… Et dans notre petit jardin elle faisait des rencontres : une rose par-ci, un hérisson par-là… Elle m’a donné, toute sa vie, des leçons de bonheur.

 

Nouveau au 1er avril 2023.

Philippe Soussieux vient de publier un nouvel ouvrage :
 

Femmes

d'exception

dans les Landes


Vous y trouverez une notice consacrée à Jeanne Batbedat ,alias Jeanne Laborde, alias Claude FAYET, également rédigée par sa petite-fille, Hélène Virlogeux.

 

 

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L
J'ai découvert récemment cet auteur dont j'ai apprécié le style, et je viens de me procurer ses livres. Je suis enchantée de trouver sur votre blog des informations originales, merci à vous tous et toutes !
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