La béziade (la vesiada)

Publié le par R.D.

 

Cela commence par une petite histoire personnelle. Lorsque nous avons fait l’acquisition d’une maison dans un village des Landes dénommé Lahosse j’avais bien entendu déjà vécu successivement dans divers pays ou régions de France (du nord au sud et surtout du sud au nord) et pour moi, le mot voisin avait un sens bien précis. Dans le village béarnais de mon enfance, à Désertines, en logement collectif, en ville comme en campagne, nos voisins  étaient ceux qui demeuraient sur le même palier, dans le même hameau, dans la même rue. Je précise au passage qu’à Lahosse, justement, les voisins  se réduisirent pendant longtemps à deux ou trois maisons distantes d’au moins une centaine de mètres. Aucun problème de clôture ou de fossé à curer ! Je ne mentionnerai pas les plaisanteries récurrentes sur les inoffensifs voisins les plus proches. Remarque que ne comprendront pas ceux qui ignorent que notre maison fait face au cimetière.

Ce n’est que bien plus tard que je découvris ce que recouvre ce mot localement. Lors du décès d’une de nos voisines je m’en fus demander si la coutume voulait que les voisins se cotisent pour un achat de fleurs ou autre plaque. Cela se fait dans certains villages. En guise de réponse je m’entendis demander : « Vous avez fait la béziade ?

 

La béziade ? C’est le mot employé à Lahosse (et ailleurs) pour désigner le repas qu’offre  à ses voisins  une famille nouvellement installée sur une exploitation. Cette coutume est ancienne. Elle permet aux nouveaux arrivants, généralement des métayers, de s’intégrer au groupe des « voisins » 

Et elle a donné  un sens bien particulier au mot « voisin », sens qui est étranger à tous ceux, comme moi,  pour qui un « voisin »  est tout simplement celui qui habite une  maison proche. Cette relation de voisinage est devenue au cours des siècles essentielle. Au sein d’un même village elle soude un groupe avec une force telle que la famille (élargie) est reléguée au second plan.

Dans une région de petites exploitations les cultivateurs ont constamment besoin d’aide. Parfois parce qu’ils  ne possèdent pas tous les outils ou les animaux de trait mais parce que les  gros travaux doivent se faire rapidement  et nécessitent beaucoup de main d’œuvre. Ainsi la fenaison, la « batterre », le pèle porc,  les vendanges ne se faisaient pas en famille ou entre amis. On conviait les voisins, on participait ensuite aux mêmes travaux chez chacun des autres. Cela faisait, pour les vendanges, une  « fête » qui durait une quinzaine de jours !

Des veillées passées à décortiquer les épis de maïs.  Selon l’importance des travaux on conviait  plus ou moins de personnes. Il y avait même, m’a-t-on dit, des « contre voisins » on faisait appel à eux pour le battage du blé, par exemple. Cette aide était essentielle et on l’accordait généreusement. N’ai-je pas entendu dire de tel Lahossais : « Il n’est pas toujours très commode mais par contre c’est un très bon voisin ». Entendez par là qu’il est toujours prêt à apporter son aide. Et de l’aide on en avait besoin, dans toutes les circonstances de la vie. En cas de maladie, d’hospitalisation, d’accident les voisins suppléaient à l’absence. On se chargeait du bétail, des enfants, du grand-père …

A l’occasion d’un mariage les voisins aidaient à préparer la maison. Et la grange, car c’est là que se faisait le repas, confectionné  par les voisines.  Les hommes n’étaient pas exclus. C’est bien évidemment  pour le « plus dur » qu’ils étaient mis à contribution. Les premiers voisins avaient la lourde tâche d’aller de maison en maisons  transmettre les invitations à la noce. Deux personnes par famille m’a-t-on précisé. Tout en riant du cas d’un couple dont l’épouse était restée à la maison les « casse cans » ayant omis de l’inviter. Ils rapportaient les rubans que chaque convive attachait à la canne qui serait placée derrière les mariés. Le jour de la noce ils étaient chargés de veiller à ce que jamais une bouteille ne reste vide sur la table. Sur les photos de mariage on les reconnaît aisément.

 Les naissances, les baptêmes, les communions rassemblaient le groupe.  

Essentielle  était leur participation à l’occasion d’un décès.
 


Le premier voisin se chargeait de toutes les formalités dont de nos jours s’acquittent les pompes funèbres. Deux d’entre eux déclaraient le décès en mairie. Leur nom est consigné dans l’acte. Ainsi le décès de Sophie de Foix-Candale fut déclaré  par  les habitants de Lannevère et de Born. Suivait l’exécution d’un acte essentiel : se rendre personnellement chez chacun des « voisins » pour faire part du décès et les convier personnellement à la « prière » et à la réception après la cérémonie. Le premier voisin  portait la croix qui accueille le défunt à l’entrée de l’église et l’accompagne jusqu’au tombeau.  Il va de soi que les mêmes voisins veillaient le mort à l’époque où le corps était gardé à la maison. Et les voisins portaient le cercueil. Le groupe des voisin prenait en charge les dépenses : fossoyeur et collectaient le « rama ». Les employés des entreprises locales bénéficiaient d’un droit d’absence pour assister aux obsèques d’un voisin, cela allait de soi. J’ignore si cela était inscrit dans les conventions collectives ou si on leur demandait de prouver leur qualité de voisin.
 

J’ai posé quelques questions au hasard des rencontres.

 

Comment est-on voisin ? Comment se forme la communauté des voisins ?

Comment décide-t-on, en s’installant, qui sera « voisin » ?

Et bien, on prend comme voisins ceux qui le sont. On demande qui est voisin. Les autres membres du groupe vous le disent. C’est aussi simple que ça. Même chose pour le « premier voisin ». C’est décidé depuis toujours. Vous savez, en prenant telle métairie, que votre premier voisin sera un tel.

Cet état de fait n’a tenu aucun compte de la disparition des chemins et de leur remplacement par des routes.

Ainsi est-il  est assez surprenant d’entendre les habitants du Petit Cabé, par exemple,  dire  « nous sommes voisins » en parlant d’une maison (Farthouat) qui se trouve maintenant à trois bons  kilomètres, (mais pas à vol d’oiseau).

 

Peut-on avoir des voisins dans un autre village ?

Oui si les maisons sont proches. Cela n’a pas d’importance.

 

Combien a-t-on de voisins ?

Le nombre de voisins est très variable. Certaines maisons en ont jusqu’à dix. Pour d’autres, c’est beaucoup moins, surtout à l’heure actuelle.  Certaines maisons (Lagouarrigue) sont « premier voisin » d’un grand nombre de maisons.

 

Tous les habitants du  village  étaient-ils concernés ?

Les propriétaires, ceux qui étaient agriculteurs et qui étaient propriétaires des terres depuis toujours, ou, mais pas les châtelains (Loumaing), ou les Laborde de Fayet. Du moins pas au siècle dernier car ils n’étaient pas vraiment résidents de la commune, ayant un emploi et une résidence ailleurs. On les invitait cependant pour les mariages.

 

Se fâche-t-on avec les voisins ?

Si possible non. Se fâcher avec sa famille est relativement fréquent mais les voisins, « on en a besoin ». Cela conduit à beaucoup de tolérance. N’ai-je pas souvent entendu déplorer que les pigeons d’un tel venaient se nourrir aux auges des canards mais « ce sont des voisins, on ne va pas se fâcher ».

 

***

Comment expliquer ce lien très fort entre un groupe à l’intérieur d’un même village ?

A l’origine de ce terme on trouve le mot  gascon « vesin » ou « bézin ».

Pour définir ce terme je me permets de copier-coller l’explication que fournit Philippe DUBEDOUT sur son site : http://dzt-isto.chez-alice.fr/28_voisi.htm.

A l'origine de nos villages sont les vici. Il s'agit de divisions territoriales de l'époque gallo-romaine, groupes de maisons dont certains quartiers ou villages ont gardé le nom (Vic-Fezensac; Vicq-d'Auribat,...).

Le sens du mot vicus a évolué selon les époques et les lieux, et correspond à des réalités différentes, que P. Toulgouat regroupe dans une définition assez large : "Lieu, groupement de maisons, quartier ou rue, dont les habitants libres se trouvaient liés en association de voisinage"*1. Il ne faut pas voir ailleurs l'origine du nom de la maison Vic (ou Bic) à Doazit.

L'habitant d'un Vic (vicus), est le vicinus (latin populaire vecinus), c'est à dire le "Vesin" (bézin), ou voisin.

Au Moyen-Âge, le voisin*2, est "un homme libre, propriétaire, chef de maison, responsable de la pérennité de la domus, seul qualifié pour représenter la famille aux réunions de la vesiau, institution primitive des collectivités rurales groupées en "société de voisinage"."*3

Ainsi, vers, ou avant le Xe siècle, tous les chefs de familles d'un périmètre donné (vicus), propriétaires d'un casal, s'organisèrent en association de voisinage, et leurs maisons sont considérées comme étant le peuplement à partir duquel vont se développer communautés et paroisses.

Le titre de Voisin se transmet du père au fils aîné, mais il a ceci de particulier qu'il est attaché non pas à l'homme, mais à la maison. Pour devenir voisin, il faut être reçu par les autres voisins, et habiter une maison ayant droit de voisinage. Un voisin qui vient habiter une maison non voisine, perd son titre de voisin*4. Si un capcasal doit être partagé (héritage...), on en démembre une partie, appelée ahiton, pour y construire une maison, mais celle-ci n'a pas droit de voisinage.Le nombre des voisins d'une communauté, était donc en principe fixe.Mais peu à peu, la rigueur de la coutume s'émoussa et on en vint à accorder les mêmes droits à un plus grand nombre, pour diverses raisons, notamment pour favoriser le peuplement des bourgs ou villes nouvelles (XIIIe - XIVe siècles). C'est ainsi que dans le bourg de Doazit (érigé vers 1300), on trouve au XVIIe siècle, quantité de familles de notables, ou bourgeoises. Pour obtenir le titre de bourgeois - qui n'est autre que l'équivalent en langue d'oïl du mot voisin - il faut être propriétaire d'une maison, y habiter depuis un an et un jour, être reçu par les voisins, prêter serment de loyauté envers la communauté, et payer un droit d'entrée, le tout constaté par acte notarié.

Et j'ajoute ce commentaire de Jean-Jacques Dubreuil qui éclaire un point de graphie.
 

"La vesiada" en graphie classique (normalisée). Le "n" intervocalique la plupart du temps tombe en gascon. Si on le rajoute on retrouve le mot "vesinada", plus proche du mot "voisinée" participe passé du verbe voisiner. Quant au "b" de la graphie phonétique, il n'est pas très juste. Le "v" en gascon se prononce comme en castillan, "v" de "vaca" et pas comme le "b" de "bébé", il y a une différence de son".

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Ainsi la « bésiade »  instaure  et consacre  une relation similaire  entre un groupe de maisons d’un village. A cette différence que le « droit d’entrée » est un repas offert par les nouveaux arrivants.

On  retrouve une trace de ce mode d’accueil dans les toponymes. Une maison dénommée Besin ou Voisin ou Béziade indique qu’il s’agit d’une habitation nouvelle acceptée dans la communauté.

 

 

 

 

Et  ce court extrait d'un ouvrage publié en 1907 et réédité en 2010.

André de Laborde-Lassale. En Chalosse, notes historiques.  Éditions des régionalismes 20 10

"La plupart des provinces françaises ont perdu les caractéristiques qui les distinguent de la province voisine. (… ) Mieux que beaucoup d’autres, la Chalosse a su conserver sa physionomie particulière. L’observateur y retrouve, en effet, des usages ailleurs inconnus et qui portent le cachet de la plus haute antiquité.

Un de ces usages les plus originaux, ce sont les relations établies entre voisins dans nos campagnes.

(….) Toute maison rurale compte quatre voisins rattachés à elle par les liens traditionnels d’une amicale association. Le voisinage. Le plus rapproché à des privilèges incontestés qui lui assignent le premier rang dans l’échelle du dévouement mais tous les quatre ont des obligations jamais déclinées, toujours fidèlement remplies.

Venez-vous à trépasser ? Vôtre premier voisin attellera ses grands bœufs roux à sa charrette et vous fera parcourir votre dernière étape jusqu’au  cimetière. Vous contentez vous d’être malade, d’inspirer des inquiétudes à vos parents, vos amis ? C’est également le premier voisin, toujours alerte et dispos, qui courra à Saint-Sever pour y chercher le médecin du corps, et au presbytère le curé, médecin de l’âme.

Êtes vous parvenu à cette date fatidique qu'on appelle la fête du porc ? Les quatre voisins seront là pour vous aider dans le sacrifice de l’animal et dans la préparation des jambons qui orneront comme des lustres les poutres enfumées de votre cuisine.

Notez la date... Toujours d'actualité !

(…..)

Ailleurs, on affecte de ne pas regarder ses voisins, de ne pas les connaître. Il n’en est pas de même, heureusement, à Eyres, ou l’on trouve très naturel d’être aimable pour ceux que le hasard a placés à côté de soi, de s’occuper de leurs affaires, de se tenir au courant de leurs faits et gestes, de sacrifier quelquefois ses convenances personnelles aux nécessités d’une amitié réciproque."

 

Note : j'aime particulièrement ce dernier paragraphe...

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D
"La vesiada" en graphie classique (normalisée). Le "n" intervocalique la plupart du temps tombe en gascon. Si on le rajoute on retrouve le mot "vesinada", plus proche du mot "voisinée" participe passé du verbe voisiner. Quant au "b" de la graphie phonétique, il n'est pas très juste. Le "v" en gascon se prononce comme en castillan, "v" de "vaca" et pas comme le "b" de "bébé", il y a une différence de son.
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R
Merci. J'intègre dans l'article.