Cafés, auberges, débits de boissons à Lahosse au cours des siècles passés.

Publié le par R.D.

A l’heure où l’on parle de reconstituer ces lieux de convivialité qui ont irrémédiablement disparu durant la deuxième moitié du XXe siècle, évoquons les cafés de Lahosse dont on m’a abondamment parlé,  ne serait-ce que parce que nous avons fait l’acquisition du bâtiment qui hébergeait le dernier de ces établissements. Pendant longtemps nous avons été identifiés comme  les occupants occupant ce qui était jusqu’en 1970  le « café Ducamp ».Ce débit de boissons avait déjà vécu ses dernières heures. Sur la porte d’entrée était collée une petite étiquette :

Le café sera ouvert le dimanche à 11 heures.

Quelques bouteilles d’apéritif se trouvaient également sur une table de la cuisine lorsque nous avons visité les lieux.

Le « café Ducamp »  fut,  durant les cinquante premières années du siècle, le centre de vie du village.  Des autres débits de boisson dont les documents ou les témoins ont gardé la trace il ne restait pratiquement rien à cette époque. A l’époque de la Révolution  les Registres y font allusion à plusieurs reprises,  sans toutefois les nommer ou les localiser. Ainsi en 1791 l’assemblée communale entreprend de les règlementer. On déplore que « les cabaretiers et aubergistes  ne sont soumis à aucune règle, aucune espèce de police ne les surveille. Ils se sont relâchés au point de tenir du monde chez eux à toute heure du jour et de la nuit, jour du dimanche et veille de fêtes. » Suit une liste d'interdictions et d'obligations.

Quels étaient ces débits de boissons ?

Nous savons qu’il s’en trouvait  un au « Rousset », maison qui a d’ailleurs  gardé un quillier jusqu’au XXe siècle.

Le propriétaire était un certain Crabos, maçon, ce qui signifie qu’il s’agissait pour lui d’une activité secondaire. Cette maison se situe à quelques mètres du cimetière et nous avons que l’église se trouvait dans le cimetière. C’est bien connu, il ne saurait y avoir d’église sans un tel établissement à proximité.  De plus,  la maison  est sur le chemin qu’empruntaient les habitants du bourg, nombreux à cette époque.

Il en existait un autre au bourg, dans la maison dite « Beillon ».  Cette auberge est mentionnée dès le XVIIe siècle. Rien de surprenant. Le bourg regroupait des artisans, le forgeron notamment et l’attente chez ce dernier était parfois longue. A l’époque pour laquelle nous avons recueilli des souvenirs  ce bistrot  était presque  confidentiel. Il y avait dans cette même maison, coincée entre Barbé (Lacroix) et Chignoy, une sorte d’épicerie où l’on trouvait essentiellement des graines. Dans le recensement de 1911 Lacroix (à Barbé) est débitant de vin. Par la suite il est boucher. Un boulanger est bien indiqué à Beillon mais les recensements en ligne ne vont pas au-delà de 1936.

Le troisième troquet souvent évoqué est « chez Olga ». Il y aurait eu au petit Latapy, un lieu un peu particulier où on jouait aux quilles, où Olga jouait du piano, et quoi encore …

En 1921 le propriétaire des lieux est forgeron. Il vit là avec son épouse,  un frère qui est charcutier et Olga, 19 ans, née à Paris dont la profession est « modiste ». Cinq ans plus tard il est « aubergiste » et son frère a épousé Olga. Mais il décède assez vite et le couple se retrouve seul occupant des lieux avec la veuve. Si vous voulez en savoir plus interrogez les habitants susceptibles d’avoir fréquenté le lieu. En cette période de confinement je ne peux pas le faire.

Un document mentionne brièvement  un débit de boissons à Fuguet. Mais personne dans le village n’en entendu parler.

Retournons donc au « Café Ducamp » dont on m’a tellement parlé que je peux presque le décrire comme si je l’avais connu.

 On trouve la première mention d’une « maison de l’église » dans les Registres BMS à la date du 8 février 1675 lorsqu’est  baptisé Etienne de Veguerie, fils légitime de Jean de Veguerie et Jeanne Dupoy. Le parrain étant  Me Vergeron, notaire royal et la marraine Jeanne du Daverat. Nous connaissons les Veguerie de Latapie, les Véguerie maçons du bourg et les Depoy ou Dupouy du bourg où résidait également  le notaire. Cela signifie-t-il que la maison venait d'être construite ?

Il n'y eut apparemment pas d'autres naissances. Les relevés sont incomplets,  certaines années manquent, mais   la maison n’est pas listée  lors du recensement de 1793. Ce qui laisse penser qu’elle était inhabitée.

Il en est question à nouveau  le 26 septembre 1805  lorsque le propriétaire, Jean Béguery (est-ce le même ? Si oui, il ne l’habitait plus)  propose de prêter une chambre à la municipalité pour servir de maison commune. La maison de Saint Martin au bourg avait précédemment été agrée pour cet usage, moyennant un loyer.

 Puis s’installe à la maison de l’église un autre couple Béguery. Il est forgeron et vivait au Petit Preuilhé avant son mariage. La maison de l’époque n’avait pas la superficie actuelle. Consultez pour vous en assurer le plan de 1810 sur le site des Archives départementales.

En 1816, Jean Béguery, forgeron, réside toujours  à Léglise avec son épouse, leur fillette et deux hommes, probablement des employés. En 1838, Guillaume Dupérier, aubergiste, 45 ans, occupe seul la partie nord. Au « levant » réside Paule Béguery, sans doute veuve. Effectivement  la pièce à l’est de la maison actuelle présente le reste d’un évier. Le débit de boissons remplce peu à peu celui du Rousset.

Un incident,  rapporté par un procès-verbal du garde champêtre (E dépôt 141 1/1) concerne un vol chez M Dupérier, aubergiste à Léglise, le 28 décembre 1829. Ce dernier, invité à souper, rentre à son domicile  vers 10 heures 30 pour constater la disparition de nombreux objets ainsi que de l’argent. Les portes et fenêtres sont ouvertes et il est possible de  suivre les traces que les voleurs ont laissées dans la neige. Le garde champêtre et le maire se rendent sur place. Ils constatent que « le crochet par lequel était fermé le contrevent en  dedans avait été enlevé avec une arme aussi tranchante que celle d’un long couteau de table qui avait laissé des traces bien marquées et qui avait été introduit entre le contrevent et le cadre ». Dans la cuisine ils trouvent « sur la table, un petit chiffon de papier … en partie brûlé, dont on avait dû se servir pour tenir la chandelle ».

Les  cabaretiers se remplacent dans le logement nord (Dartiguelongue, puis Batby) alors que l’activité forge semble avoir été abandonnée. En 1866 Batby a déjà 62 ans. Le foyer héberge une employée et sa fille. Cinq ans plus tard les Batby partagent  le logement avec un couple de domestiques et les deux enfants de l’épouse. Batby n’ayant pas d’enfants,  c’est son neveu Jacques Ducamp qui hérite. Il se marie en 1878. C’est probablement lui qui fit agrandir la maison en la « doublant » sur toute la longueur côté sud. On lui doit certainement l’aménagement de la grange et la construction du quillier, couvert de tuiles canal. La tuile romane sera utilisée dès 1890, notamment pour l'école. Il fera l’acquisition de terres et de deux métairies.  Son fils Albert se marie en 1909. Le père et le fils cohabiteront durant toute la première moitié du siècle. Jaques est « épicier » en 1911 (recensement) alors que son fils est "cultivateur". En 1926 (recensement) son fils Raoul est "forgeron". Il a 17 ans. Il y a donc un troisième homme et bientôt un troisième couple

 La moitié nord de la grange est réservée à la forge. L’autre partie sert de remise. Il y a une vache au moins.   Les deux bâtiments (la grange et la maison,  sont reliés pour abriter un quillier (quilles de neuf), le toit est très haut, une immense poutre traverse le local. Je parle longuement de cette activité dans un autre article, je ne m’y attarderai pas ici. Au sud,  on y a adossé les cages à lapins, une souillarde avec évier et fourneau, un abri à bois. De là on entre dans la maison qui est presque en totalité consacrée au « commerce ».

La demeure est vaste. Pas moins de huit pièces. La porte vitrée  est en fer forgé.  Fabrication maison, très astucieuse, comme le portail et le portillon. Elle donne sur une petite pièce avec cheminée (imposante). Une petite fenêtre (qui pourrait être celle qui existait déjà à l’époque du cambriolage. A l’origine, m’a-t-on dit on trouvait la cuisinière à bois se trouvait à droite de la cheminée. Cette salle était le café proprement,  dit servait de cantine pour les enfants qui venaient de loin, on ne s’y attardait pas. N’oublions pas les jambons au plafond : des crochets en témoignent.

Une porte (au nord) conduisait à une petite salle confortable (le plafond était  plâtré) où s’attardaient les joueurs de cartes. De là on passait à deux pièces en enfilade  qui servaient de débit de tabac et d’épicerie. Le placard où l’on conservait le tabac est encore visible. Il fermait à clé et les vitres étaient tapissées de papier coloré. Sur l’une des photos on voit la « carotte ».

La pièce suivante (l’ancienne cuisine du logement nord) est encore équipée des étagères de l’épicerie. Il y a une grande fenêtre avec un système de fermeture original. La maison suit la pente, il faut donc descendre une marche et le plafond, très bas au départ s’élève à mesure qu’on passe à la pièce suivante.

On accédait à l’épicerie par une porte spéciale placée face au portillon. Cette porte, très jolie,  était partiellement vitrée mais aussi « blindée » par deux volets que l’on fixait solidement de l’intérieur chaque soir. Outre la serrure, une barre horizontale maintenait les deux battants.

Voici le témoignage de Geneviève fille des derniers cabaretiers.

         Oh! ce n'était pas un magasin pimpant, éclairé par une batterie de néons clignotants !!.Non. Les étagères peintes en beige ,l'établi et le comptoir cirés chaque samedi ,les cuivres des balances qui luisaient dans l'ombre lui donnaient un air propret et avenant .Tous les produits de première nécessité étaient bien présentés : les bonbons multicolores dans leurs grands bocaux côtoyaient les biscuits dans leurs emballages de couleur vive :on se rappelle des gaufrettes ,des boudoirs et des demi-lunes ;au-dessus les boites de conserves prenaient place à côté des pâtes et du vermicelle "cheveux d'ange" qu'on mettait le dimanche dans le bouillon parfumé aux clous de girofle et coloré avec une pastille "chausson" .L'huile en bombonne était servie en 1/2 litre ou 1/4 (les clients apportaient leur bouteille !!) Près de la porte on trouvait les balais, les tresses de raphia , le savon et les savonnettes "Cadum" ainsi que le blanc d'Espagne et l'eau de Javel .Sur l'établi ,la grosse cloche à fromages abritait l'Edam, le roquefort et "Vache-qui-rit". Plus loin la balance Roberval  toujours très astiquée par mesure d'hygiène et enfin le moulin à poivre fixé à l'établi. De l'autre côté c'était la balance pour le tabac et les pots à tabac qui auraient pu raconter les habitudes des clients !! A l'époque dont je vous parle , le tabac était en paquets et avec les cigarettes, arrivait de Dax dans un grand sac en jute épais et plombé (ce commerce a toujours été très contrôlé ).

L'odeur des sardines salées se mêlait à celle de la cire, du savon, du poivre et du café torréfié sur place. Et enfin le dimanche , les femmes du quartier se retrouvaient  là après la messe pour déguster un petit "Byrrh" et discuter entre copines.

Poursuivons notre description.  Contigüe à l’épicerie ?  la cave. Deux grandes marches pour y descendre, une grande porte donnant sur l’extérieur, car on y entreposait les barriques qui étaient déchargées au niveau de l’« encoche » dans le mur de clôture et roulées ensuite. Des étagères jusqu’au plafond, très haut,  remplies (encore à l’heure où j’écris)  de bouteilles vides. Une fosse, pour garder le vin au frais.

Revenons à l’intérieur. Côté sud, une quatrième   porte donnait sur le jardin. Le volet extérieur se fixait aussi de l’intérieur et on y ajoutait une barre transversale pour consolider le tout. Les clients l’empruntaient pour se rendre au petit coin. On se trouve dans une pièce séparée de la cuisine par une porte et une cloison. Cette pièce reçoit aussi des clients. Un escalier mène à l’étage qui n’était pas, loin de là, exclusivement réservé  aux propriétaires. Ils disposaient des trois chambres isolées à l’étage et d’une pièce au rez-de-chaussée.  L’une des chambres de l’étage, la plus grande, équipée d’une cheminée, est probablement celle qui a servi de maison commune et  dans laquelle s’est déroulée la fameuse altercation entre Dartigoeyte et le maire de l’époque. Lisez pour cela l’article : Dartigoeyte à Lahosse.  Au centre, une salle  recevait également des clients les jours d’affluence. De là on accédait au grenier qui servait de réserve, de  séchoir à linge … La dernière pièce de l’étage était la salle de restaurant.   Bien éclairée (trois fenêtres)    elle occupe le tiers de la superficie ajoutée lors de l’agrandissement de la maison par Ducamp et n’a  probablement  jamais eu d’autre destination. On y tenait le repas de la fête, de la Sainte-Cécile et autres. Les jeunes filles du quartier étaient embauchées pour le service. On m’a raconté que,  dans les dernières années l’eau de pluie tombait sur la table…

N’oublions pas le bâtiment pour le cochon au nord et le petit cabanon en haut du jardin. Les clients qui s’y rendaient en toute hâte (et dans l’obscurité !) devaient avoir les poches trouées car, en bêchant le jardin, nous y avons trouvé force piécettes datant de l’époque de prospérité du lieu.

Voici quelques photos.

Le portillon et la porte "blindée" de l'épicerie.

 

Une vue très romantique des lieux en 1979. On voit le toit du quillier entre la maison et la grange
A l'angle, le chêne témoin de bien d'incidents dans la vie du village. Pour qu'il se taise à jamais nous l'avons fait abattre.
Le cabanon en haut du jardin
La carotte du débit de tabac.

 

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